Si c'est pas possible, on va le faire...
Si c'est pas possible, on va le faire

En 1998, oui, au siècle dernier,
nous étions jeunes et larges d’épaules, rouleurs flambeurs insolents et drôles.Comme dirait un chanteur social.
L’un d’entre nous est particulièrement fringant, Jean-François, roi de la blague à froid, de l’accent d’Agen et de l’organisation de sorties entre copains.
Rare quoi : des types qui se bougent pour rassembler, fédérer, organiser et impulser, il faut les cultiver parce que ça ne pousse plus beaucoup.
Un autre est voyageur ; tout ce qui lui permet de partir lui plaît. Il est par exemple capable d’accompagner un groupe, genre profs, pour vous dire l’étendue de sa patience, en plein désert libyen, sans rien connaître du pays, de ses habitants ou de ses coutumes. Il achète juste le guide qui va bien, et chaque soir sous sa tente il consulte et apprend la science qu’il va étaler le lendemain devant le parterre ébloui des voyageurs et voyageuses qui, séduites par ses connaissances et sa moustache, retardent parfois ses nocturnes apprentissages… C’est Michel.
Michel est nanti d’un jumeau, Christian, copie vraie de vraie, jusqu’au bout de la moustache et du reste, si vous pouvez imaginer les plans d’enfer qu’on peut se jouer avec ce genre d’avantage…
Ils ont un frère, Dominique, qui paraît très sage à côté des deux autres.
Le Michel et le Jean François s’excitent un beau jour après une partie de tennis, et le projet d’aller en Libye vient dans la discussion.
Il faut savoir qu’à cette époque, la Libye est sous embargo parce que son inénarrable dictateur a trouvé malin d’abattre un avion de ligne bourré de touristes, contrarié qu’il était par un vague différent diplomatique, mais surtout parce qu’il voulait passer pour le guide suprême et puissant du monde arabe.
La Libye sentait donc le souffre et l’idée d’aller y rouler en moto équivalait pour de nombreuses personnes à programmer un pique nique au milieu d’un élevage de crocodiles… Ce qui fit monter la pression chez nos deux rêveurs, et les conduisit à se dire : si c’est pas possible, on va le faire.
Comme ils se sentent un peu seuls ils recrutent quelques couillons chez qui cette perspective exerce le même stimuli. Avec de puissants leviers comme l’attrait de l’aventure, le plaisir de rouler en moto, ou la simple flatterie de l’égo, ils attrapent donc Didier, un second Christian, un nommé Marc, et ma pomme.
Didier offre l’avantage de posséder une remorque motos ; et moi un Patrol pour tirer la dite remorque et transporter les sacs et le matériel.
Un repas au resto et quelques verres de rosé plus tard, l’affaire est entendue : ce sera pendant les vacances de Pâques, Jean-François prend les billets de bateau et maintenant impossible de reculer…
A partir de là, j’ai mal dormi.
Je ne sais pas si je me suis investi de la mission ou si le groupe m’a poussé dans un entonnoir avec cette seule issue, mais je suis devenu responsable de la navigation. Comme on ne savait pas trop jusqu’où on irait ni par où on passerait, je me suis retrouvé perché sur un gros tas de questions aussi épineuses que « si tout est écrit en arabe, tu te repères comment ? ». Ben oui, parce que question tourisme, la Libye de l’époque c’était un peu comme l’Irak aujourd’hui : personne n’a prévu que tu viennes…
En discutant de ci de là, j’ai entendu parler d’un couple de baroudeurs qui avaient fait ce voyage. Rendez-vous est pris avec ces zombies.
Départ prévu le 11 avril, nous sommes à D-9.
Très très mal dormi : nous sommes allés chez le couple Barile qui revient donc de Libye
Super organisé, préparation du voyage tip top, de le doc à foison et du matériel rôdé. Grande rigolade lorsque j’explique les conditions dans lesquelles nous partons…
GPS OBLIGATOIRE !!!
Je repars avec quelques réponses aux questions que j’avais préparées ; mais aussi avec le moral à zéro devant les choix qu’il faut faire : GPS ? Pourra-t-on tout faire ? Le bazar va-t-il tenir dans le Patrol ? Ne s’est-on pas lancés un peu à la légère ? Est-ce utile d’aller si loin pour faire 4000 km de goudron ?
Confirmation : le passage à la frontière coutera bien environ 1500 F par tête, plaques, assurances, autorisations… Bong !! Soit environ 15% d'un salaire de prof...
J’ai aussi une idée plus précise du change, pratiqué au noir , et du prix négocié, d’un guide. Surprise : le revenu moyen du libyen et de 1 dinars par jour ; et le guide prend 1400F, soit deux ans de salaire… Peut être pas obligatoire le guide...
Didier m’a téléphoné pour connaître la surface disponible sur le Patrol pour mettre les autocollants des sponsors. Il prend la préparation très au sérieux et râle un peu contre ceux qui pensent partir avec des pneus usées,(Michel…) ou qui rentrent du ski la veille du départ (Marc…).
Mais il a fait une très bonne prospection , puisque c’est lui qui nous a obtenu le prêt d’un stock de pièces de rechange pour le Patrol.


Oui, à cette époque, on pouvait trouver quelques financements pour ce genre de voyage, alors qu'aujourd’hui, même si ton projet c’est d’aller faire pousser des salades sur Mars, personne ne te filera un rond…
Nous avons aussi rendez-vous devant le magasin de moto qui nous prête quelques pièces, pour la photo de pub. Il est ravi ; ça le travaillait de ne pas avoir le nom des sponsors dans le canard…
Car même la presse régionale s’intéresse à notre projet : un article dans le journal Var Matin, suite à notre visite dans leurs locaux : on va enfourner des motos d’enduro … et compter les fautes d’orthographe de l’article. Je retrouve intégralement le synopsis que j’avais pondu et ma mère ne me reconnaît pas sur la photo… La presse internationale c’est pareil ?


Deuxième épisode.
Plus tu t'angoisses, moins ça va mieux.

Départ -7
Une semaine avant le départ , nous n’avons pas encore décidé si on se paie ou non un GPS. Nous allons principalement utiliser les routes, mais les sites intéressants sont au milieu de nulle part et uniquement repérés par des coordonnées GPS.
Certains aventuriers se sentent les jambes molles, et ne veulent pas entendre parler de cailloux (Didier), d’autres aimeraient manger de la dune et de la caillasse ( Moi…) D’autre s’en foutent, du moment qu’on part…
Personne n'insiste mais, pas de cailloux, on va faire des déçus...
Le plan, c’est ça :
Deux solutions :
- choisir dès avant le départ une option ou l’autre.
- ceux qui veulent s’ensabler loueraient un guide à Ghat, et se feraient deux ou trois jours de désert pur.
Juste pour donner une idée de notre état d'inconscience d'alors, une première photo représentant les dunes tunisiennes, et la seconde les dunes libyennes. Pas vraiment la même échelle... Ensuite matez un peu les bécanes avec lesquelles on part...


On a le droit de rire... silencieusement.
En tout état de cause, il apparait évident qu’il faudra quitter la piste « humaine » pour aller voir les lacs ou l’Akakous. Les lacs sont en plein milieu des dunes et le coin manque de panneaux de signalisation …
La traversée Idi /Darj serait impossible sans GPS, ce serait la route qui longe la frontière algérienne, disons plutôt le tracé parce que les repères sont du genre vieux pneu ou voiture brûlée.

Encourageant…
Mais Jean -François se targue de naviguer à la boussole. Peut-on confier nos précieuses vies dans un désert de sable à un type dont la fierté suprême est de descendre tous les ans le Tarn en kayak ?
J’ai photocopié toute la documentation des Barile et ajouté quelques éléments à la liste de matériel, sans pour autant être plus rassuré… Parce que la documentation consiste en des photocopies de morceaux de photocopies de bouts de cartes que personne sait d’où elles viennent…
D-6
Réflexion :
1- Proposons à Barile de lui louer son GPS, disons 100F par personne.
2- Mais je peux acheter la bestiole et la « louer » le même prix.
Alors catalogue…nanana…le bazar, la fixation, la housse, l’alimentation…nanana..allez : 2000 balles.
C’est décidé, demain j’appelle J.F. et je lui propose le mar…
Téléphone qui sonne : c’est le J.F. :
- bon j’ai réfléchis, la boussole, tout çà, bof, pas sûr; achète le GPS, on participe .
-Ben, j’allais te le dire… dégonflé va !
Alors bien sûr, le soir, au lit, test comparatif de tous les GPS du marché. La décision est prise, ce sera celui-là.
Dodo, gros rêves de navigation, et si on en a finalement pas besoin, et si et si et si…
D-5
Gonflé à bloc je téléphone pour commander le GPS de mes rêves. Douche. Froide
- Houlà, il est de quand votre catalogue ?
- Ben… il a 6 mois…
- Houlà, c’était avant la guerre, ce modèle là c’est fini, a pu.
Nouveau, bien mieux, 1000 balles de plus !!!
- Glouc !!
Bingo, j’ai commandé le bouzin :
2875 F deuxmillehuitcentsixantequinze francs. En salaire de prof ça fait 30% : bobo !!
Et comme je n’ai pas envie de passer trois heures devant le photocopieur, je commande aussi, au diable l’avarice, le guide que m’avait prêté Barile.
C’est le Gandini, la bible, the livre. Gandini c’est le nom de l’auteur, ce type a un boulot formidable : il prend un 4X4, va se perdre dans le désert, note des points Gps, et pond ensuite un bouquin qui te dit par où il faut passer pour aller là ou là.
Midi, j’ai un flash : un extincteur, il nous faut un extincteur ! On va trimballer des bidons d’essence pour les motos, certaines de ces motos sont un peu bricolées à la sauvage, et ce genre de plan peut facilement finir par un gros court-circuit…
Heureusement que je n’ai pas connecté au début de la nuit, sinon, c’était tout le matos qui flambait dans une insomnie totale…
D-3
Rendez-vous à 17 h pour charger le matériel.
Je commence à prendre conscience de la notion de groupe…
Entre ceux qui sont encore au ski et ceux qui se pointent avec quatorze sacs , il faut faire des choix et imposer quelques règles simples. Genre « ta casserole fétiche que t’as fait le tour du monde avec, y’a pas la place pour » …
J’ai le sentiment que Didier et moi seront utiles durant de voyage…
On charge la remorque, on démonte la fourche le ma moto qu’on enfourne ensuite dans le Patrol.

Soulagement lorsqu’on réalise que la place sera suffisante.
On constate avec une certaine inquiétude que le Jean-François, heureuse nature, part sans frein avant… Le Laurent avec une distribution de 90 000km et ma TW avec 18 CV en pleine colère.
On oublie tout ça le soir, en enfournant des pizzas et, surtout, du rosé…
D-2
Je me prends une heure pour découvrir le GPS que je viens de recevoir. Houlà… finalement la boussole a l’air plus simple. Je tente une programmation pour aller jusqu’à Aix et… ça marche.
Le problème étant simplement que je me demande comment j’ai fait… ne l’ébruitons pas…
D-1
J’ai tracé toute la nuit la route au GPS, impossible de débrancher les neurones. Pas bien frais le matin.
Reste à faire le sac, passer chez le coiffeur, vérifier les listes, nettoyer et faire la vidange-filtre sur le Patrol.
Je bloque du temps dans la matinée pour classer et répertorier la documentation et les cartes. Enfin, LA carte : et j’aurais dû en profiter pour regarder l’échelle… parce qu’on va s’apercevoir sur le terrain que l’échelle, c’est important. Disons que si on partait avec une photo de la terre vue de la lune, ce serait quasiment aussi utile…
Comme il tombait des hallebardes à midi, l’entretien du Patrol est reporté au soir ; la nuit sera courte.
Dans la matinée, Christian me téléphone pour une question vitale : doit-on prévoir des sandwichs pour demain midi ?
Ce type est épais comme un sandwich SNCF et sa préoccupation principale la veille de partir vivre la grande aventure est de savoir si demain midi on bouffe ou pas… Je commence à prendre conscience de la notion de groupe…
- Euh… oui, surtout s’il fait le même temps qu’aujourd’hui…
Je nous voit mal vider la voiture pour trouver la bouffe, au bord de l’autoroute, après 200 km sous la pluie, trempés comme des soupes.
Trempés sauf moi, puisque je n’ai pas la chance de voyager en moto… eheheh !!
J’ai enfin compris le coup de la frontière : on loue les plaques d’immatriculation 600D ( environ 900 F) et on nous remboursera 500 D au retour. Mais comme le dinars libyen est inutilisable ailleurs qu’en Libye, on se fait…avoir…avec un B majuscule...


Troisième épisode.
Départ aujourd'hui, c'est parti, on y va, yes, c'est à nous !
Super bourre ce matin : je cherche frénétiquement mon couteau, sans lui je suis tout nu. Puis fin du sac, décollage. Il pleut, encore et déjà, des cordes.
Arrivé chez Jean-François, on charge les victuailles, on empile les derniers sacs dans le Patrol maintenant plein à craquer.
Contretemps : le train d'un des jumeaux a une heure de retard, pas de panique. L'autre jumeau, celui qu'on doit récupérer à la frontière italienne attendra un peu...
Ah oui, parce qu’on va embarquer à Gêne, Italie, question de tarifs…
On décolle finalement à 9h. Il pleut.
Partir dans le désert sous des trombes d’eau, ça gâche un peu le côté baroudeur. On se voyait déjà en tee-shirts avec les lunettes de soleil et on se retrouve avec les grosses combinaisons de pluie qui te font ressembler à Casimir. Avant son régime…

Il est prévu qu’on se retrouve sur l’autoroute et ça commence super fort : on ne voit personne en chemin, il flotte, et dès qu’on s’est retrouvés, on se reperd ; et il flotte.
On récupère le troisième (3 !) frère à la frontière, Jean-François se la joue fillette et, un peu las de se les mouiller, installe sa moto sur la remorque : nous voilà trois devant dans le Patrol déjà bourré. Ça prend un peu des allures de partouze : écarte les jambes que je passe la cinq…
Soudain, mama mia, bouchon ! Autoroute bloquée, italiens de partout.
Trois quarts d’heure passent, on voit déjà le bateau s’éloigner sans nous !
Les Italiens, que l’on dit indisciplinés, ne le sont pas toujours.
Par exemple, comme leurs autoroutes n’ont pas de bande d’arrêt d’urgence, en cas de bouchon la file de droite se serre à droite et celle de gauche fait pareil de son côté. On ménage ainsi une voie libre au milieu.
C’est bien vu parce qu’une voiture de flics se pointe aussitôt, toutes sirènes hurlantes, sur cette nouvelle voie.
Nos motos ont filé devant, nous avons un gros Patrol avec une grosse remorque et si on ne fait rien le bateau va partir sans nous.
Boum, pêtage de plomb ! Je déboîte, fonce, et prends la roue des poulets : on l'aura ce P… de bateau !
Il faut imaginer le truc avec un esprit lucide et du recul : collé à cinquante centimètres du pare- choc arrière de la voiture de flics, serrés à trois sur deux sièges, on avionne en toute illégalité avec un gros truc déjà large dont la remorque dépasse encore de chaque côté, entre deux files de bagnoles dont les propriétaires font tout pour nous coincer !
Ah oui, parce que l’Italien n’aime pas, mais vraiment pas se faire dépasser. Jamais.
Il s’écarte donc en voyant arriver les képis mais dès qu’il s’aperçoit qu’un gros malin profite de la situation, il fait tout pour l’empêcher de passer.
Ça se resserre donc très très vite derrière l’ Alfa des keufs, et, si le Patrol passe déjà juste juste, la remorque que ces blaireaux n’ont pas prévue dans leur plan de vengeance les surprend plus qu’un peu !
Ambiance Super Mario dans la voiture ! J’ignore les rétros, j’ignore l’odeur de transpiration qui émane de nos aisselles, j’ignore le bruit du moteur, j’ignore tous les autres bruits, je regarde le pare-choc de l’Alfa, je fixe le pare-choc de l’Alfa, le pare-choc est mon alfa et mon oméga, la vie se résume à ce morceau de plastique que je ne dois pas toucher tout en restant très prêt !!!
Le numéro dure un bon quart d’heure et, franchement, je ne suis pas sûr de n’avoir rien touché…
Question à se poser maintenant :
- Que va-t-il se passer lorsque les flics s’arrêteront ?
- per favor, qué y’é oune bateau qué yé doit prendre !! qué yé part en tounisie, et que… per favor ? tre sul duo sièges ? non é normal ? contravention ? cartum grisum ? papirs ? ausweis ?
Bon, on verra…
Voici finalement le début du bouchon, à l’entrée d’un tunnel : je stoppe en pôle position tandis que les flics s’engouffrent dans le dit tunnel.
Grand silence dans la voiture, genre fin de secousse tremblement de terre 7 sur l’échelle des plaque tectoniques qui gigotent ; ou poussière qui retombe après le passage de la cavalerie…
On attend. Tout le monde nous regarde d’un air aussi réprobateur qu’ahuri. On se la joue « arrondis les lèvres et regarde si tes ongles n’auraient pas besoin d’un petit coup de lime… »
Silence, suspens…
Deux minutes plus tard, un flic sort du tunnel et se dirige vers nous. On ne respire plus qu’une fois sur trois.
Il s’approche.
Nous désigne du doigt…
Et, d’un impérial geste du bras, nous intime l’ordre de rentrer dans ce foutu tunnel et donc de nous barrer !!
On va pas prendre des nouvelles des sa vieille maman, hein !! Gentil, gentil le képi !!
Première, seconde, trois, quatre, cinq ; tout à toc ; mets du charbon t’occupe pas de la fumée : après avoir fait la pôle position, on réussit parfaitement le départ puisque peu de concurrents réussiront à nous dépasser.
Du grandiose ; mais du vrai gros bol quand même…
Arrivée sur Genova, pas de problème pour trouver l’embarquement, et, comme le bateau a bien évidemment du retard, nous attendrons deux heures avant d’embarquer…
Tout ça pour ça…
On s’enfourne dans le monstre, et se prépare à 24 heures de traversée.

Il est gros le bateau, mais la mer a ses humeurs. Roulis, ça va, tangage moins. Personne n’est très frais mais je suis carrément malade.
En partant m’allonger, j’ai le temps de sentir des remugles immondes et de voir des gens ordinairement très bien, tituber, l’air hagard, d’un mur à l’autre, la tête fourrée dans un sac poubelle…
Couché 8h30. A minuit, guéri, visite éclair à la boite de nuit, personne du groupe… Dégonflés va !!! Grosse nuit jusqu’à huit heures du matin.
Quatrième épisode.
Les aventuriers ***** NN

Nous sommes dimanche , a plus bobo, bien reposé, toilette, douche, ah, j’ai oublié la serviette… Mais on part dans le désert, désert = pas d’eau, donc on ne se lavera jamais ? Mouais….
Petit déjeuner à la cafétéria, superbe vue sur la Sardaigne, mer calme, pourvu que ça dure…
Ça dure pas. Couché à 10h du matin jusqu’à l’arrivée 18h. Je hais le bateau et jalouse les marins.
Arrivée à Tunis et l’on croise le rallye de Tunisie qui vient de se terminer. Beau matériel partout.

La douane est telle qu’on nous l’avait décrite : abominable. Que je sois propriétaire de deux véhicules est inconcevable. Deux heures de tracasseries, tampons, attente.

Enfin libres, il fait nuit, le casse-croûte se fait au bistrot du coin, et nous arrosons le rétro cassé du Patrol.
Départ pour le dodo, Jean-François connaît bien, il est venu il y a quinze ans…
On tourne un peu, beaucoup, on se perd, un peu, beaucoup, et on finit par tomber dans un hôtel à 130 balles la nuit, ce qui est exorbitant.
Pas mal la taule : piscine, billard, salons. On part comme des aventuriers et on se retrouve à jouer au billard une bière à la main… Sortie nocturne pour boire le thé à Sidi Boussaïd, genre les anges de la route. Jean-François réussit à nous faire retrouver l’hôtel ; on progresse.

Résumé : j’aime pas les bateaux, j’aime pas les douaniers, j’aime mieux mes pantoufles.
Aujourd’hui lundi, c’est le vrai départ. Levé à 6h20, forcément bien reposé de la veille, je travaille un peu le GPS et rafistole le rétro du Patrol. J’ai pu voir comment on roule ici, il vaut mieux avoir les yeux bien ouverts et les rétros bien réglés…
Les grands aventuriers se lèvent tard, contrairement aux prévisions de route : là, déjà, on est un peu décalés, ce n’est qu’un début ! continuons le ! combat !
Petit déjeuner de baroudeurs, croissant jus de fruits beurre, lait chaud café thé tartines, sur la terrasse face à la mer…

Commencent ensuite les choses dites sérieuses : déchargement total du Patrol, remontage de la TW qui était coincée à l’arrière mais dont la fourche était sur la remorque – va expliquer ça à un douanier ! – dernières préparations des motos – genre : tiens, le frein arrière ne marche pas non plus – et aménagement de la remorque pour recevoir les cantines.
Mauvaise nouvelle : le jumeau Christian ne viendra pas en Libye, son dernier espoir d’obtenir un visa venant de s’envoler à l’ambassade. Il se fera un séjour seul en Tunisie et on le récupérera au retour.
Ah, oui, les visas.
N’oublions pas que nous sommes en 1998, que la Libye sent de la bouche, et que tout ce qui veut y entrer est éminemment suspect d’espionnage aggravé. Les visas ont donc été obtenus par Jean-François au terme d’une procédure de trois mois. Si je ne dormais pas bien, le JF devait se faire aussi quelques suées nocturnes avec ses billets en poche et les visas qui trainaient en chemin…
Tels les chevaliers modernes, comme l’a certainement écrit dans un grand élan de poncifs éculés et d’enfilage de perles notre brave journaliste de Var Matin, tels des chevaliers modernes donc, nous enfournons les montures d’acier comme il n’a pas non plus s’empêcher de pondre, le baveux : il a dû mettre deux ss à acier pour faire plus guerrier…
Les deux jumeaux rescapés sont au volant du Patrol, bizarrement aussi plein qu'avant, et pourtant débarrassé de la moto… Sortie de Tunis, assez galère, long, pollué et dangereux, puis l’autoroute, poignée soudée au taquet, couché sur le réservoir, guidon d’une main l’autre effacée pour gagner 0,4 km/h, compteur bloqué à 110 avec vent de travers pour suivre les autres motos qui ronronnent tranquillement. J’ai peut être pas la moto qui va bien…
Pause à El Jem, colisée romain, bien conservé, jolie visite, on a payé les tickets mais, joueurs, on est entrés planqués dans un groupe de touristes. Just for fun…

On repart, fini les virages, que de la ligne droite, dangereux vu la circulation et les traversées de villages.
Nous sommes en direction de la frontière libyenne, pas trop de temps à perdre, on roule on roule on roule.
Etape, et test comparatif : deux hôtels, un à 35 D l’autre à 50 D.
Ah, j’ai oublié de préciser un truc super intéressant : le groupe entier est composé de pédagos…
Vous savez maintenant lequel a eu notre préférence…
On sort les sacs, on range les motos dans la petite cour là-bas au fond, on gare le Patrol, on intègre les chambres et, après des heures de roulage on va se faire quelques douceurs, aaaaaaahhhhhhh !
Je me jette sous la douche : pas d’eau chaude.
Les brothers sont en pétard parce que les serviettes portent de grandes traces de..disons...betteraves…rouge…
On sort pour manger, et on atterrit dans l’hôtel voisin à 50 boules la nuit qui, lui, fait aussi restaurant.
Deux bouteilles de rouge plus tard, plus le digestif offert par la maison, nous voilà tout ragaillardis… pour décider de changer de taule : beaux prétextes, l’eau est à peine tiède et les brothers sont devenus hystériques devant le jus de betterave !!!
Alors on ressort le Patrol, on ressort la remorque, on ressort les bécanes, Marc-le-maniaque fait tomber la XT de Jean-François et perce le feu rouge de sa Transalp, ce qui lui fait encore plus mal que si c’était son pied qui était traversé par la ferraille !
Bien allumés on débarque au bar du nouvel hôtel, qui nous offre le pot de bienvenu, et après je sais plus trop ce qui s’est passé mais on a bien déliré…
Impressions de la journée : la route du Sud nous débarrasse lentement de la civilisation européenne, on pénètre doucement, par petites touches, dans le pays. Un âne qui passe sur le pont de l’autoroute, des moutons qui paissent au bord de l’autoroute, des costumes traditionnels, un bordel de plus en plus flagrant, le paysage qui, inéluctablement, s’aplatit.
Seuls les hôtels tentent de résister ; personnel pléthorique et impeccable, locaux luxueux mais vieillots et à l’entretien négligé.
Cinquième épisode.
Séquence émotion.
Depuis le bateau-bobo j’ai du sommeil d’avance. Donc, ce mardi, lever 6h, baskets et footing, sur la plage.
Lorsque je décide de faire demi-tour, une gamine et un homme arrivent, bonjour, bonjour, et on discute un peu en marchant : la gamine va à l’école, son père l’accompagne, il est 6h30 et l’école est encore à 7 km… Je pense à certaines écoles européennes devant lesquelles attend une file de voitures pour poser le bichounnet juste en face du portail…
Super déjeuner, de baroudeurs *****NN et on consulte la carte : on commence à se rendre compte des distances… glouc, c’est grand l’Afrique !
On roule jusqu’à Zarzis, où nous abandonnons le Christian-jumeau-sans visa. Zarzis n’est pas loin de Djerba si vous voyez ce que je veux dire, et ce que je veux dire c’est qu’il va se la couler douce au milieu des gros touristes alors que nous… nous… on va vivre le vrai baroud, l’Aventure, pas un truc de fille quoi…

Prochaine étape, la frontière. La TW rejoint la remorque et je reprends possession du Patrol : on va essayer de faire simple pour les douaniers…
Des route rectilignes, monotones, des troupeaux de chameaux pour faire ambiance, et, sur le bord de la route, de plus en plus de zigs qui agitent des liasses de billets : change au noir.
JF l’africain nous informe qu’il faut attendre le plus possible, puisque le taux de change s’améliore à proximité de la frontière. On souscrit donc le plus tard possible à cette illégale mais institutionnelle formalité, et soudain ; palpitations, la frontière libyenne est en vue…
Le panneau aussi, avèque un peut une fote dortografe…

A partir de là, les choses se passent comme prévu : lentement.
Premier guichet, vérification passeports, visas et papiers : une heure.
Deuxième guichet, change à la banque officielle ; on joue pour le symbole puisque c’est déjà fait et on reçoit en échange un reçu pour la fédération automobile ; si, si, il y a ça en Libye, et quand tu vois l’état du matériel roulant tu te dis que c’est pas le Jaguar gentlemen’s driver's club …
C’est pas fini : tu donnes 1100 F, un bras quoi, pour louer les plaques d’immatriculation.
Encore une bonne demi-heure.
On fatigue un peu...
Troisième guichet, visite à la fédération des trucs parfois mobiles et souvent pas, tu me donnes le reçu je te donne l’assurance : une heure.
Quatrième guichet, perception des plaques d’immatriculation : une demi-heure. On fatigue vraiment.

A noter que, comme à la frontière tunisienne, tu fais la queue devant un guichet sans savoir ce qui va se passer au bout… De toutes façon il faut toutes les faire…
Bonne nouvelle, la plaque de la remorque est passée à l’as, le fonctionnaire pas trop zélé vient de faire tomber 1100 F dans la caisse. On aura une plaque à l’avant du Patrol, et l’autre à l’arrière de la remorque.
Il faut ensuite fixer les plaques sur les véhicules, grande partie de fil de fer et de colliers plastiques, encore une heure.

Lorsque tout est en ordre, il fait nuit, eh, 4h30 de formalités ça fait baisser la lumière…
A nous la Libye !
On entre un peu comme sur une nouvelle planète, les yeux grand écarquillés, en se remémorant tout ce qu’on nous a dit sur ce quasi enfer.
Il fait faim, et le premier troquet sera le bienvenu. Alors disons que c’est rustique. Pour pas vexer… Là, ça commence à vraiment ressembler…
Le type qui nous reçoit parle français et nous dit, avec un sourire et un accent adorables :
- Les zens, y sont zoulis ici !
C’est notre premier contact et, franchement, je suis ému : on est dans une bonne grosse dictature, dans le dénuement, et ce gars, en français, ne nous souhaite pas banalement la bienvenue ; mais nous explique par ces simples mots qu’on peut remballer tous nos aprioris, qu’on n’est pas chez les sauvages, et qu’on va rencontrer des gens adorables.
En une fraction de seconde, il m’a fait aimer la Libye et les Libyens.
Il nous indiquera un hôtel et nous conseillera d’être hyper prudents sur la route : pas de permis de conduite ici, et la quasi-totalité des véhicules sont des épaves totales.
Route de nuit, à la recherche de l’hôtel : finie la Tunisie et les néons de couleur ; ici c’est la même façade partout, la même couleur, c'est la Socialist People's Libyan Arab Jamahiriya quoi...
Bien guidé par les explications on trouve le Graal : rustique aussi… Mais on est crevés, il est quelque chose comme 2h du matin, et même si le taulier à viré fissa les types qui dormaient là, même si on doit déménager les lits défoncés dans un coin du dortoir et se protéger tant bien que mal des matelas immondes, on signe.


On ne fait plus les chochottes pour trois traces de betterave…
En bas, dans la salle commune décorée de tout ce que tu peux imaginer comme carrelage typé Maghreb, musique dance et télé Dubaï, très étonnant.
Sixième épisode.
Comme dans le plan !
Le lendemain, manque de chance, il fait jour : l’hôtel se révèle être vraiment infâme ; ce qu'on avait aperçu de nuit n'était qu'une infime image du boui-boui.
Maman, si tu voyais sur quoi j'ai dormi...

Impossible de déjeuner, le cuistot est parti. Nous nous installons dehors en attendant que tout le monde arrive.
Manquent Didier et Christian.
Attente, on se dit qu’ils se font la grasse mat...
En réalité, ils viennent tous les deux d’échapper à une mort horrible : bloqués dans les WC, pas de poignée à l’intérieur !
Evidemment, ils vivent trop dangereusement, parce que, vu l’état des gogues, entrer, c'était déjà très risqué…
Aujourd’hui c’est roulage roulage et roulage, parce qu’il faut descendre au Sud et qu’on s’est rendu compte depuis peu que le Sud, c'est loin.
On charge le Patrol et la remorque, et, comme je propose à Christian d'installer sa bécane sur la remorque, il nous fait un petit caca nerveux comme quoi sa bécane, bien que de modeste cylindrée – un 350 XT, c’est pas modeste, c’est dérisoire…- peut rouler aussi vite et aussi longtemps que les autres.
T’as raison Gaston, tu vas ruiner ton poumon pour suivre les Transalp et autres Africa Twin, ou alors on va t’attendre tous les dix kilomètres.

Ceci dit, la polémique est ridicule, mais c’est parce qu’on est un peu jeunes, et qu’on n’a pas encore compris l'essentiel : ici, en Afrique, le temps n’a pas d’importance et, surtout, ne se maitrise pas.
Démonstration immédiate puisque cette journée sera quasiment neutralisée : navigation hasardeuse pour rejoindre la route du Sud, un brave homme a proposé de nous aider… et nous a emmenés à l’aéroport après un monstrueux détour.
J’avais préparé la nav au GPS, j’aurais mieux fait de m’en tenir là.
Petite remarque : ce genre de plan est typique de l’Afrique :
- soit le type n’a rien compris de ce que tu lui demandes mais veut tellement te rendre service à tout prix qu’il chope le premier mot qu’il a cru piger et bloque sur le sillon jusqu’à ce que tu le suives.
- soit il a très bien compris, mais il va d’abord t’emmener prendre le thé à la menthe chez le cousin de la belle sœur de sa nièce… qui… qui…vend des tapis.
Par exemple.
Je dois dire que mes craintes étaient fondées : tous les panneaux sont rédigés exclusivement en arabe, et nous sommes incapables de faire la différence entre un vermicelle qui fait trois boucle avant de monter et un fil de fer qui se prend pour une racine carrée.
Repas de midi dans une station service bar épicerie tabac légumes et tous matériaux. Ces libyens sont vraiment sympas.
D’abord ils ont le sourire, celui qui te dit bonjour et pas celui qui te dit combien tu donnes ?
Ensuite ils sont heureux qu’on vienne dans leur pays, rappelons qu’en 98 la Libye est sous embargo, et font tout leur possible pour communiquer et montrer que ce pays c’est, d’abord, son peuple.
Avant de partir, j’avais installé une grande carte de la Libye dans mon garage, ici on affiche des posters des neige, de sapins, de torrents : chacun ses rêves.

On redémarre et… grosse embrouille !
Je m’aperçois au GPS que nous nous trompons de route, mais les motos sont parties devant, loin loin. Trop pour espérer les rattraper. La consigne était de rester à vue tant que nous ne serions pas sûr de la route.

Ta consigne, tu te la prends et tu te la roules, tout le monde a soudé taquet et fonce sur un circuit qui, il est vrai, incite à ouvrir en grand...
Je stoppe le Patrol bien en vue, et on attend que messieurs les pilotes rebranchent le cerveau.
Lorsqu’ils reviennent, ils ont fait 160 bornes de trop, et on a perdu 4 heures.
Mais on s’en fout, c’est l’Afouique !
Revenus sur la bonne route, nous découvrons enfin les paysages attendus : désert de cailloux et la route au milieu.
Arrivée à Mizda, perdue au milieu de nulle part, pauvreté, ordures le long de la route, cabanes, un peu triste, mais des gens très chaleureux.
Station service et on fait le plein pour le lendemain, benzine à 20 centimes le litre et Naphta à 16 centimes… de francs... ... Pour te dire la valeur du carburant ici : le pompiste plante le pistolet dans ton réservoir, le bloque en position ouverte avec un morceau de chambre à air juste prévu pour, puis s’en va discuter avec ses potes. De temps à autres il jette un coup d’œil vers ton véhicule, et lorsqu’il voit que la flaque au sol est bien large et brillante, il revient sans se presser débrancher le bazar…

Quelques kilomètres encore et bivouac, le premier, dans un quasi désert.

Tentes, frontales, gamelles, duvets, super couteaux-fourchette-cuiller-ouvre boîte-tire bouchon-loupe-boussole-perceuse et chalumeau, et Jean-François nous régale des ses premières pâtes. Ah oui, il fait aussi la cuisine.

Ambiance aventure… comme dans le plan.
Les baroudeurs parlent moto à la veillée, des mecs quoi…
Septième épisode.
Long...
Mizda- Brack : 575 km, notre plus longue étape jusqu’à présent.
Vent de sable, et de travers, toute la journée : très très éprouvant.

Même à l'intérieur de la voiture nous sommes obligés de nous protéger.

Alors sur les bécanes, c'est un peu l'enfer. Je ne sais pas qui avait eu l'idée géniale d'emporter des masques de chirurgie, mais ils sont vraiment les bienvenus.
Ce matin, Christian était scié : il est allé acheter le pain, est tombé sur un gars miséreux comme ils savent l’être ici, dans un magasin minable, et le type a absolument tenu à lui offrir le pain.
Leçon pour notre belle civilisation qui travaille plus pour gagner encore plus…
Autre surprise de la journée.
Nous stoppons pour faire le plein dans une de ces stations service épicerie etc, semée le long de la route part un hasard ou un fonctionnaire philanthropes, seuls lieux de vie à 100 km à la ronde. On se pointe ensuite à la caisse avec notre sac poubelle plein des déchets que nous avons traqués jusqu’au dernier lors du bivouac.
On montre du doigt l’objet, on prend sans doute un air dégoûté, bref on fait comprendre au gars qu’on n’a pas l’intention de la rapporter chez nous, quoi.
Il nous sourit, fait signe qu’il a compris, et nous mime : à droite après la sortie du local, en disant des trucs qu’on entend mais qu'on ne peut qu'imaginer...
Merci, au revoir et qu'Allah te bénisse.
A droite de la sortie on cherche un genre de container, vert si possible, avec un couvercle qu’on pourrait basculer pour faire disparaître le fruit de nos ripailles, amen.
Rien.
Retour à la caisse, salam aleikoum encore, je pense qu'on doit pincer les lèvres en les avançant et en arrondissant les yeux, tandis qu’on soulève le sac d’une main et qu’on le désigne de l’autre. On comprend pas plus ce qu’il dit, mais les gestes sont explicites : tu sors, tu tournes à droite, et c’est là.
On sort, on tourne à droite et… ???
Bon, aloreuuuu … peut être un de ces futs d’huile de 220 l dont on découpe le haut pour le transformer en récipient, et si le récipient ainsi créé pouvait s’avérer servir de conteneur à poubelle, ça nous irait bien comme plan…
Pas de fut non plus.
Salam aleikoum encore une fois mon gars, on ne peut plus se passer l’un de l’autre, comment vont tes femmes et tes enfants, excuse-nous de t’arracher encore une fois à ta trépidante solitude, mais ce sac que tu connais maintenant très bien lui aussi, qu’on soulève toujours d’une main en te le montrant de l’autre, on le met où ? Bordel.
Le gars a toujours son bon sourire. Pour tout dire c’est le même que la première fois : pas surpris, pas contrarié, rien, égal, normal. Et le discours et les gestes sont aussi les mêmes, un peu comme dans ce film qui doit s’appeler « un jour sans fin » dans lequel le personnage principal se réveille chaque matin le même jour que la veille, le 2 février, et Bill Murray le fait presque aussi bien que notre nouvel ami…
On reprend la même sortie, on retourne encore à droite, on écarquille encore les yeux, puis on se regarde en tordant la bouche et on active le gros tas de neurones qui nous sert de cerveau.
Je vois : c’est sans doute une caisse en bois qui servit autrefois à transporter un objet qu’il fallait protéger des chocs ; imaginons une sorte de palette avec des côtés verticaux, pour que ça ressemble quand même un peu à une poubelle, juste un peu, on n’est pas exigeants.
Rien, mais alors rien qui ressemble même un tout petit peu à ce qu’on cherche. Le seul truc qu’on voit c’est un mur d’environ deux mètres de haut et trente mètres de long, qui fait ensuite un angle d’approximativement quatre vingt dix degrés, pour revenir à la route sur environ trente nouveaux mètres.
Et contre le mur, à côté, dedans, où tu veux ; rien, que dalle, nibe.
Un haussement d’épaule plus tard nous voici de nouveau face à Bill Murray, dans la même scène, on appelle ça du comique de répétition. L’acteur principal ne regarde pas sa montre pour voir si on est encore la veille ; mais son sourire s’élargit. Bon, on sent que ça se débloque un peu ! Il contourne le comptoir et, toujours illuminé par son radieux sourire, attrape notre sac de la main droite, et se dirige vers la sortie.
Yes, le dénouement est proche, on va se régaler de sa tronche stupéfaite de découvrir que sa poubelle est partie vivre sa vie ailleurs !
On le suit, il tourne à droite, l’excitation augmente, un grand moment de jouissance nous attend et, franchement, après cette tension nerveuse impitoyablement accumulée, préparons-nous à du grandiose.
On tourne aussi, Bill avance le long du mur, disons dix mètres.
Là, je dois dire qu’un doute nous envahit : normalement il aurait dû s’arrêter, son sac à la main, comme un gland, et se gratter la tête de l’autre, pour bien montrer sa perplexité !
Ben non, il parcourt encore, disons trois mètres, tranquille, sûr de lui.
Alors là, suivez bien, parce que le scénariste a vraiment soigné le détail , la gestuelle, et la chronologie. Vous suivez ?
J’imagine que oui, parce que vous vous dites : ça fait quand même une bonne page que ce psychopathe nous trimballe et nous fait languir, et c’est pas maintenant que le dénouement approche qu’on va lâcher l’affaire…
Bon ; alors Bill parcourt trois mètres avec ses pieds, mais ce qui est intéressant, voire primordial, c’est ce qu’il fait de ses mains !
Rappelez-vous qu’il tient notre sac poubelle dans sa main droite. Pendant ce parcours de trois mètres, environ, voilà ce qui se passe :
- profitant d’une oscillation naturelle du sac, il le dévie de sa trajectoire et le fait passer devant sa jambe droite, puis devant sa jambe gauche.
- extraordinairement synchronisé, il avançait en même temps la main gauche qui peut maintenant se saisir du sac.
Il a, grosso modo, parcouru la moitié des trois mètres, je vous laisse calculer, il faut que j’écrive la suite.
- le sac, notre sac, le fruit de nos ripailles, amen ; oscille maintenant à sa gauche.
- dans un superbe geste technique, il bloque son corps sur la jambe droite, la partie gauche continuant son mouvement d’avancée et pivotant ainsi vers la droite, le mettant en situation imminente de se goinfrer le mur. De face.
- mais le bras tenant le sac continue sa rotation, tout en se haussant et en accélérant. Le moment est intensément palpitant, le sac suit ce mouvement, accélère lui aussi, monte encore, et soudain…
Soudain la main qui tenait le sac relâche son étreinte, le sac continue sa trajectoire seul !
Il passe par-dessus le mur et on ne l’entend même pas atterrir sur le tas d’ordure qui est derrière.
Bill revient déjà dans notre direction, nous croise avec un signe la main et retourne vaquer dans sa boutique.
Alors on se retrouve tous accrochés au sommet du mur, des deux mains, à contempler la décharge dissimulée par ce salaud de mur…
Buvez un coup, on continue la journée.
La traversée de l’Hamadat Al Hamra est longue, trèèèèès longue, et nos esprits blasés se lassent assez rapidement de ces 375 km de ligne droite, malgré les paysages somptueusement arides.
Ce parcours use les plus optimistes. Le vent de sable n’a pas faibli, obligeant les bécanes à rouler penchées et les pilotes à rétablir constamment l’équilibre avec cette poussée latérale.
Arrivés à Brak, Jean-François nous fait un petit coup de blues, et parle de faire demi-tour dès le lendemain matin pour aller visiter la Tunisie…

C’est vrai que, partis lundi matin de Tunis, nous sommes jeudi soir au bout de 1500 km de route.
A ce rythme, pour embarquer vendredi prochain, il faudra être le jeudi soir à Tunis, c'est-à-dire prendre la route du retour lundi, ce qui ne nous laisse que trois jours pleins sur place.
Le soir, divers avis sont émis, mais les esprits ne sont pas très clairs : l’Afrique nous use.

A froid, il me semble possible d’aller jusqu’à la région des lacs, pour que tout le monde bouffe un peu de sable. Mais je fais peut être une petite fixette sur le sable…
Au bivouac, une petite douche au jerrican et une bonne platée de pâtes nous requinquent.
Ce soir, on ne parle pas moto, ce soir on fait une petite allergie à la moto…
Petite anecdote en forme de conseil utile à l’usage du touriste en Afrique. Si le camion que tu suis met son clignotant à droite, c’est pour te signaler que tu ne peux pas doubler : véhicule en face, chameau, ou langue de sable qu’il va devoir éviter.


Juste exactement le contraire de chez nous, quoi…
La première fois, ça surprend.
Huitième épisode.
Le désert en dessert
Tout se mérite : après deux jours bien rebutants, le désert en dessert.

Les tétines nous démangent, la XT et la TW qui ont fait la longue route sur la remorque retrouvent le sol africain.
L’impression d’avoir quitté le Maghreb et de pénétrer vraiment en Afrique se confirme. De petits détails, impalpables, donnent ce sentiment : population plus noire, minéral omniprésent, palmiers et minarets différents, végétation plus typée.
Brak-Sebha, 66 kilomètres d’une route parfaite, le désert de sable replace progressivement le désert de pierres, de longues langues jaunes viennent lécher la route.
TW avionne à des vitesses qu’elle n’a jamais atteintes : étonnant. Renseignement pris auprès des autres pilotes, toutes nos bécanes carburent nettement mieux qu’avant. Je ne pense pas que le sable leur fasse grande impression, et en conclus que c’est l’essence libyenne qui offre un taux d’octane très élevé.
Ma supposition s'averera exacte par la suite : un trafic de carburants existe entre la Libye et la Tunisie, et l’essence libyenne est très réputée et recherchée par les tunisiens.
C’est celle que l’on trouve dans les villages, vendue hors stations : quelques bidons empilés devant un garage indiquent que si tu t’arrêtes quelqu’un va sortir, apporter un haut trépied enserrant un gros entonnoir couvert d’un tissu pour faire le filtre et prolongé par un tuyau, et que le gars va te verser quelques bidons de 10litres dans ton réservoir par ce moyen rustique, illégal et… toléré.
La moto marche bien, nous entrons lentement dans le vrai désert, le Sahara, et un gros béru va venir me gâcher le plaisir. Un gros béru français.
Sans doute émoustillé par la façon, disons particulière, de conduire des libyens, un savoyard, si si, j’ai bien vu, un savoyard décide de dépasser un camion bien que j’arrive en face : il déboîte, double, mégot au bec et bras à la portière, et occupe si bien toute la route que je vais jouer sur le bas côté pour ne pas me faire emplâtrer.
Curieux et inquiétant comme je peux parfois me sentir prêt à tuer…
Curieux et inquiétant ce qui peut se passer dans le cerveau d’un abruti pareil…
Sebha c’est simplement un bidonville. Même aspect, même odeur, à oublier.
C’est pourtant la porte du grand Sud, mais c’est minable.
D’abord, en arrivant, tu comprends rapidement que pour se débarrasser de ses ordures on sort de la ville, et on balance tout au bord de la route. Cool…

En arrivant tu vois d’abord quelques boites de conserve rouillées, plus loin le sol en est jonché, et, au fur et à mesure de ton approche, le tas d’ordures bordant la route devient continu, grossit, prend de la couleur avec les sacs plastiques, et lorsque ça se met à vraiment puer, tu peux estimer que tu es dans l’agglomération. Pratique…
En ville c’est pigeot-land, tous les véhicules sont des 404 plateaux.

Ces bagnoles sont dans un état incroyable, rien ne semble fonctionner à part le moteur...

La sécurité, déjà très malmenée par la mode libyenne de faire n’importe quoi, n’importe quand et si possible à l’endroit le plus inattendu, baisse encore d’un cran en ville, où, par exemple, les plaques d’égout qui ont disparu – enfoncées par des camions, volées ??? - sont artisanalement remplacées par… un pneu…

Des fois, tu crois que tu rêves…
Jusque là nous roulions plein sud, désormais nous fonçons vers l’ouest, direction Germa.
Route parfaitement droite et totalement pourrie, avec ce qu’on ne peut plus qualifier de nids de poules, mais plutôt de baignoires judicieusement creusées aux endroits que tu ne pourras pas éviter s’il faut croiser. Conduite très très attentive…
Nous croisons régulièrement des contrôles.
Ah oui ! Les contrôles, parlons-en un peu.
A la frontière nous avons eu droit à une assurance, une autorisation de circuler et des plaques minéralogiques. Les contrôles sont là pour vérifier que tu as bien tout ça.
Comme nous sommes sept avec huit véhicules, il faut être patient.
Comme tu peux avoir deux contrôles à dix kilomètres l’un de l’autre, il faut être très patient.
Et comme parfois un, donc, contrôleur, fait du zèle, il faut se dire qu’on est en Afrique et que… le temps… bof…

Un contrôle est constitué de deux fûts remplis de pierres, disposés de part et d’autre de la chaussée, reliés entre eux par un câble posé au sol, qu’il suffira de lever légèrement pour barrer la route.
On y voit aussi deux ou trois types, parfois en uniforme militaire, peu souriants, peu bavards, qui, lorsque personne ne vient égayer leur solitude, s’emmerdent copieusement sur des chaises en plastique, à l’ombre dérisoire d’un parasol pourri, au milieu de nulle part.
Ah c’est sûr qu’ils ne sont pas tassés dans un métro, mais quelle vie…
A notre droite, imperceptiblement, un ruban jaune grossit et se rapproche : le Sahara. Parallèle à lui, nous l’abordons inéluctablement. Bientôt bientôt, bon moment !
Les dunes apparaissent, belles, magiques, j’avais plané en regardant les photos mais là, en vrai, c’est… euh… comme si tu entrais dans le film…

Rien que d’en parler j’ai les poils des bras qui se dressent, curieux cette attirance ; aurait-on plusieurs vies qui conditionnent nos penchants ?
Bon, et Dieu dans tout ça ?
Et bien, par une prouesse mathématique dont il garde jalousement le secret, il a calculé un point GPS marquant le départ de la piste menant aux lacs. Figurez-vous qu’on tombe pile dessus ! Pas qu’on avait pas confiance, mais… on est quand même bluffés par Jean-François...
Une piste sablonneuse file vers les dunes, c’est pout nous, on y va on y va !
Nous croisons un motard en KTM, super vite mais surtout hyper limite, j’ai bien cru qu’il enlevait le pare-choc du Patrol, et déboulons… dans une sorte de camps d’entraînement, palissades, portail, visiblement entrée réservée.
N’y voyez aucun sous entendu, mais le camps est… allemand : que du teuton, hyper équipements enduro, hypra bécanes, kolossale orkanization quoi !

Neuvième épisode.
Le point G
Après avoir successivement trouvé le Point A, comme Aventure, le Point B comme Bleus et le Point C, Courage, nous voici au Point D : Désert.
Parce que c'est vraiment là qu'on commence à comprendre la dimension de la chose.

Point E : Etonnement.
Après la piste et le camp teuton, tu peux aller où tu veux... Les lacs c'est à environ vingt kilomètre au nord, si tu te le sens...
Parce que devant nous, il y a une dune. Pas des dunes, une seule. Mais un monstre !
On s'est tous arrêtés, et il y a eu un grand silence.
Pour ma part c'est ma première dune, merci, servi. Et avec le recul je confirme : c'était de la vraie grosse dune.
Les regards sont dubitatifs, et lorsqu'on voit les teutons s'élancer avec leur super matos et se planter gravement, les regards deviennent... craintifs...
Point F : Frousse
Bon, on est là pour ça, alors vamos à la playa...
Je démarre le TW, première seconde troisième et j'attaque la dune, de face : ah, bon, alors seconde.
Ah, quand même ! Alors première. Nous sommes donc en première, TW et moi, elle hurle, je mets du poids sur l'avant, et la bécane fait beuleubeuleubeuleu et cale : ma roue avant est enfournée jusqu'au frein...
Face à la pente et calé, qu'est ce que je fais ? Une gaffe. La gaffe : en voulant reculer la bécane pour la mettre en travers de la pente, elle part, méchante, et se vautre côté vide en plantant bien profond son guidon dans le sable.
La technique alors c'est de la faire tourner autour du guidon jusqu'à ce qu'il se retrouve en haut, et là tu pourras la relever. Mais la technique là, je l'ai pas : alors je passe dessous et je force comme un âne pour remonter à la verticale un tas de feraille obtus qui pèse de tout son poids sur son guidon pour contrarier mes projets.
Quelques bonnes âmes viennent m'aider, mais personne ne lâche de vanne parce qu'on a tous compris que pour les lacs, c'est pas gagné, ...
Une Transalp ça fait dans les quatre vingts kilos de plus que ma meule...
Bon, alors de face non, en travers peut être ? Et là, là, c'est parti !
La TW est sur son terrain, les gros pneus font merveille, c’est plus de la moto, c’est du surf ! Mais elle va souffrir : taquet taquet taquet, envoyez-moi des chevaux le sable veut m’engloutir !

Une fois la bécane décollé grâce à la vitesse, elle plane sur le sable en faisant un peu ce qu’elle veut c’est vrai, mais quel bonheur ! C’est une sensation vraiment inconnue, pourtant je me suis déjà talé les fesses en moto, mais là c’est… allez : magique !
Je me fais mon petit plaisir solitaire et reviens vers le groupe. A l'unanimité, on décide de trouver un endroit un peu moins pentu pour avancer...
On longe donc la dune et finit par trouver, un immense champ de sable, relativement plat.


Chacun se fait alors sa petite expérience, selon son tempérament et les possibilité de sa monture. En fait, tout le monde découvre et, y trouve son plaisir.
On se plante, on s'aide, on se pousse, ça va mieux, on recommence, on réussit. Ouais, ça rentre ! Et là, ça passe ? Euh, non, grands signes, viens m'aider.
Quelques clichés.
Marc ne fait plus que du 34 en pantalon tant il serre les fesses, Didier a un gros blanc lorsque sa bécane chérie se plante jusqu’au moyeu, tandis Jean-François décolle rapidement et entreprend un massacre en règle de sa pauvre XT qui a pourtant déjà subit bien des outrages.


Il y a des temps de regroupement, on se prête les bécanes et soudain TW devient extrêmement recherchée...

Bon, je prête, mais on échange.
Les Transalp, plantés grave, se sentent de la flanelle dans les genoux et je me fais un plaisir de sortir les monstres. Woah, la bestiole hurlante qui guidonne de butée en butée, si tu coupes, tu gicles.
Et la tête des propios maniaques en écoutant le moulin grogner...
Grand terrain de jeu, leçons et progrès rapides : Jean-François nous tourne autour, tel le derviche, de plus en plus vite et de plus en plus rouge, en criant de plus en plus fort…
A voir les tronches excitées de certains, je crains que nous n'approchions du Point G, c'est à dire que les Gamelles n’arrivent…
Et les voilà : Christian réussit une très jolie figure, très aérienne, genre double salto avant avec vrille, et se rentre la tête dans le sable jusqu’à la ceinture…
Il est légèrement sonné et j’en profite lâchement pour le soulever et lui faire craquer une douzaine de vertèbres : il gagne 15 centimètres en hauteur !
Je réalise pour ma part une excellente ascension de dune, avec saut périlleux avant à la descente, option écrasement des testicules dans le compteur…
Tout le monde baigne dans une bonne humeur touchant, soyons francs, à une totale inconscience !
Ça, pour jouer, on a joué. Personne ne s’est fait trop mal et tout le monde a bien transpiré.
Quelques tibias râpés ici, des épaules meurtrie là, un petit cou un peu raide, quelques hanches décalées, mais on est tous vivants, ce qui, somme toute, tient un peu du miracle…
Une fois calmés, on se cherche un petit coin tranquille. Pas dur : on peut faire 3000km vers l’ouest et 800 vers le nord…

Des tentes se montent, certains vont se la faire à la belle, on tambouille et on mange, je ne sais plus trop quoi mais c’est ou des pâtes ou des Bolinos…

Le soir, c’est du vrai bivouac d’aventuriers : les motos, le 4X4, le sable, les godasses sur les selles, des mecs baraqués en débardeur et qui sentent fort la transpiration.

Plus tard, la séance d’écriture, le cul sur un top case, à la lumière de la baladeuse et à l’abri du Patrol est un tel plaisir que j’en tartine trois pages, bavard quoi…

Finalement tout le monde s’est couché, le silence est total, même Didier n’a pas encore démarré son diesel.
Quelle journée !
Dixième épisode.
Les Mickeys maousses
Réveil dans le désert. Bien.


Certains portent quelques séquelles de l'échauffement d'hier.

Après l’euphorie de la veille, le moral des troupes est en baisse. Les neurones froids et reposés, on sent bien que les dunes... justement ; on les sent pas trop...
Du coup, on tourne un peu en rond. Après un tel désir de bouffer du sable on se sent un peu cocus…
Si la piste pour les lacs Mandara traverse effectivement les dunes, cet objectif nous échappera.
Une partie de l’équipe redescend vers la route pour faire le plein d’eau, Marc au volant du Patrol semble prêt à renier son Transalp pour un 4X4.
Jean-François, Dominique, Laurent et moi décidons de tenter une ultime reconnaissance car je suis persuadé qu’une piste, disons plus facile, existe.
Vroum, on retourne du côté des dunes. Au bout de quelques minutes on a déjà compris que la piste du lac devra être vraiment facile : la Dominator, la XT et l'Africa Twin auraient pu le faire, mais avec des pneus adaptés.

Ultime solution, une reconnaissance à vue, que je vais mener avec TW, c'est-à-dire que je vais zoner dans les dunes pour trouver quelque chose qui ressemble à un piste praticable par tous. Petit problème, le GPS : d’abord il est dans le Patrol, qui nous a laissé, mais de toute façon je n’aurais pas pu l’utiliser puisqu’il faut le brancher sur une prise dite allume cigare.
Donc je vais naviguer à l’aveuglette…
Solution audacieuse : j’emporte avec moi le Jean-François que je déposerai au sommet d’une haute dune pour me servir de repère visuel ; ce sera mon phare d’Alexandrie quoi…
Et on le fait : à deux sur TW, on se grimpe la plus haute !
Première partie du plan réussie. Arrivés là, je débarque mon phare et vais rôder direction Nord. Chaque fois que je veux me repérer je me fait un sommet, je vois mon JF et tout va bien.
Maintenant, il va se passer deux choses extraordinaires, qui, comme leur nom l’indique, ne sont pas, mais pas du tout, ordinaires : je vais rencontrer un berger allemand, et je vais me paumer dans le désert.
Je raconte.
Je me passe mes dunes tranquille, eh, je suis devenu super à l’aise sur ce terrain, je monte, je bascule, je cherche la suivant, je remonte, je bascule etc…
Soudain j’aperçois de la vie. Déjà, je suis étonné. En approchant un doute me prend : on dirait un chien ! Et plus j’approche, plus ce truc ressemble à un chien ! J’arrive dessus et force est de constater… que c’est bien un clébard ! Là, au milieu des dunes !
Je stoppe pour discuter avec Médor, qui doit d’ailleurs plutôt s’appeler Hermann parce qu’il est de la marque Berger Allemand.
Les présentations sont succinctes et je suis toujours en train de me demander comment il a pu arriver ici, quand j’entends un bruit genre péniche à l’agonie : doug, doug, doug, et puis douououououg. Je monte un peu et je découvre un vieil Unimog qui descend une dune en marche arrière. Pour ceux qui sont nés un peu plus tard que moi, un Unimog c’est l’ancêtre du camion Mercedes.
Donc l’ancêtre descend en arrière, stoppe, et repart à l’assaut de la dune. Bloque, redescend en arrière, remonte. A peine plus haut...
Visiblement le gars a décidé d’user la dune à défaut de passer par-dessus… c’est une méthode qui en vaut une autre…
Je finis par me faire voir et je fais la connaissance d’un couple d’allemands, avec un bébé, à peine un an : les propriétaires du clébard.
Ils ont pour ambition d’aller aux lacs, et pour outil ce vieux poumon qui pèse au moins trois tonnes parce qu’il est entièrement aménagé en bois massif. J’apprends aussi que le moulin délivre vaillamment 80 chevaux, ce qui doit faire un rapport poids/puissance équivalent à un VTT…
Ils sont jeunes, ils sont beaux, et, à mon avis, totalement inconscient… Déjà le chien c’est limite, mais le bébé, c’est critique.
Mais ils ont l’air heureux d’être là et bien décidés à aller là-bas… Pourquoi pas ?
Ils ont la liste des points GPS qui mènent au lac : je sors mon petit carnet et je note, tout. Puis j’apprends qu’ils sont dans la partie facile du parcours… et je me dis que les lacs, on ira les voir sur Google Earth…
Lorsque je les quitte, le gars remonte dans son tracteur, ils me font un petit signe, et repartent limer la dune avec leur épave, suivis par Hermann qui semble vouloir stimuler l’engin en lui foutant la trouille…
Bon, je vais donc annoncer que pour les lacs, c’est mort… Dommage :
Lac Mandara :
Lac Oum Alma :
Rappelons que nous sommes en plein Sahara...
Allez jeter un coup d’œil, il y a plein d'autres superbes photos.
Google Earth ; tapez SEBHA LYBIE dans la recherche, puis naviguez jusqu’à ces points :
26°41’ 26.53’’ N et 13° 18’ 47.06’’ E : lac MANDARA
26° 42’ 36.85’’ N et 13° 20’ 03.75’’ E : lac OUM ALMA
Si vous aimez ça, vous dézoomez un peu et cliquez sur tous les petits carrés bleus : vous y passez la nuit et votre prochain voyage, c'est là-bas...
C'est pas fini.
Lorsque je me pointe à nouveau au sommet d’une dune, plus de Jean-François en vue ! Il doit se faire son petit pipi dans un coin. Ou alors il en a eu marre d’attendre. Ou il veut ma mort, l’ordure !
Je plonge, remonte : toujours pas de JF.
Allez, encore une. Je plonge et me plante grave en bas, jusqu’à la selle. Houlà… Je mets bien dix minutes à sortir TW de ce trou et quand je vais repartir, blanc : je ne sais même plus d’où je viens… plus aucune trace de ma descente...
Résumons, tu es en plein désert, sans GPS, tu ne sais pas combien tu as d’essence, tu n’as pas une goutte d’eau, et tu ne sais pas d’où tu viens ni où il faut aller.
Première conclusion : tu es un gros naze.
Seconde conclusion : crier maman au secours ne servira à rien, branche deux synapses et réfléchis.
Il y avait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi petite crotte que là. Mais alors toute petite, la crotte. Je regarde ces dunes qui m’entourent et je dois dire que je flippe : une ou deux conneries bien placées au bon moment peuvent faire basculer pas mal de choses…
Finalement je décide de monter d’abord en face, puis derrière, puis à droite, enfin à gauche. Si l’autre assassin s’est remis en place, je finirai bien par le voir.
A la troisième tentative j’aperçois mon JF, très très loin, mais qu’est-ce que je le trouve beau ! J’ai pas trop traîné en route pour le rejoindre…
Nous avons rendez-vous à la station service, le reste du groupe est là, planqué à l'ombre, et il y a de quoi :

L'ambiance est flottante, genre salaire de la peur, pour ceux qui ont lu.

L'heure est au bilan.
Nous avons mis trop longtemps pour descendre.
Nous ne pourrons pas aller voir les lacs.
Plus bas c'est l'Akakous, et c'est encore une grosse partie de dunes.
La décision raisonnable est de remonter le plus vite possible et de noyer la frustration en visitant la Tunisie.
Plusieurs avantages à ce plan :
- on ne reste pas là à se morfondre en se disant que si et que là.
- on ne remonte pas pour rentrer, mais pour une autre aventure. C'est très important pour le moral, on sait que c'est toujours euphorisant de partir en vacances, et déprimant de rentrer.
On a tous une tronche assez pitoyable, exemple :

La décision est prise, on plie.
Fixer les petites motos sur la remorque, et cap au Nord.
Le matériel a souffert, les sangles en particulier, il ne reste pas grand chose d'utilisable...

On graisse les chaînes des autres motos, lentement, on se prépare, lentement, on décolle, lentement, et on finit par partir, frustrés, on est des gros mickeys...
A partir de là, on roule comme des brutes. Je soude devant sur la XT 500, avec les deux Transalp, disons qu'on roule méchamment, on se ronge un peu la frustration quoi...
Derrière, alerte sur le Patrol : beuleubeuleubeuleu, plus de son, plus de lumière, et fini terminé tout monde descend. Panique à bord, personne ne connaît l'engin : Laurent doit me rattraper et me ramener. Je ne sais pas à combien il a roulé, mais vu la façon dont on avionnait, il n'a pas du se la faire chochotte !
Retour donc au Patrol, disons bien quarante bornes plus tard, et auscultation du patient. Le passager à simplement bousculé un fusible avec le pied, et je chambre un peu Jean-François sur ses talents de mécanicien : si t'as pas de contact, tu regardes d'abord du côté des fusibles, gros nain...
Plus loin, dans la série les nains se surpassent, Laurent tombe carrément en panne d'essence, tout seul.
On le rejoint au moment ou un local le dépanne, ce qui nous permet d'assister à notre premier gargarisme au super.
Le gars siphonne de l'essence dans son réservoir afin d'en tirer quelques litres pour Laurent. Normalement tu aspires, et quand tu sens que le liquide arrive, tu baisses très vite le tuyau vers le sol, et le liquide qui est en route continue par la seule force de la gravité.
Bref, normalement tu fais super gaffe à ne surtout pas avoir une goutte d'essence dans la bouche.
La méthode libyenne est différente : le gars aspire, aspire et aspire encore, jusqu'à ce qu'il ait la bouche bien pleine, là il crache, puis reprend le tuyau en bouche pour une nouvelle aspiration et, donc, un nouveau remplissage...
On a tous eu très très mal pour lui, qui a gardé le sourire tout au long de la séance.
On ne doit pas lire les mêmes articles dans les mêmes journaux... Le héros c'est celui qui a le joli béret:

Plus loin, contrôle, la routine. Le hic c'est que JF a perdu la plaque de sa moto, là-bas, tu sais, vers la cinquième dune après le dernier palmier...
Nous découvrons la disparition lors de ce contrôle. A partir de ce moment, ces contrôles vont passer de la catégorie routine à la catégorie angoisses. Parce qu'on risque au mieux de perdre beaucoup de temps à expliquer que... et que..., au pire le blocage de la moto. Et là...salut JF, contents de t'avoir connu, nous on rentre à la maison, tchao tchao !!
Le jeu sera donc désormais de planquer le cul de la XT lors de chaque contrôle, faut aimer jouer... Soit on lui colle le Patrol juste derrière, soit on l'éloigne un peu, soit on la tourne ; un peu de piment quoi... Là on la voit, seulette la XT, à l'écart de ses copines.
Nous arrivons ensuite à Brack, pause à la station service. Volupté et douceur, on se prend une douche grâce à une citerne mise à notre disposition. Bon, pas de la douche chaude, non, ni de la douche au jet, non, ni de la douche en cabine, non. C'est de la douche au jerrican, mais comme on avait un peu oublié ce que c'est...

Au menu, oui... pâtes... Mais nous sommes déjà dans le voyage, et le plus rapide sera le mieux.

On fabrique ensuite un peu d'eau pour la route. Ah, oui, pour l'eau potable, on a une pompe apportée par Laurent, qui est fasciné par tout ce qui est Hi Teck. C'est le modèle made in Suisse, avec une cartouche de céramique dans laquelle, à la force du poignet, tu fais passer n'importe quelle flotte pourrie que tu transformes alors en eau potable.
Personne n'a été malade, donc c'est efficace.
Efficace aussi pour se faire de gros biceps, parce qu'à chaque pompage tu fabriques la valeur d'un dé à coudre... En gros, pour faire un litre, il faut facilement cinq minutes, en se relayant, parce qu'au bout d'une minute tu as déjà le bras tétanisé.

A 21h30, nous décollons pour 377 km, objectif Shwarif, puisque nous avons décidé de parcourir cette longue ligne droite pendant la fraicheur ; nous avions trop souffert à l'aller du vent de sable et de la chaleur.
Nous serons exhaussés au delà de nos espérances puisque la pluie nous rejoindra, en plein désert... On pourrait peut être se faire inviter en cas de sècheresse...
Un peu retardés par des contrôles plus tatillons que d'habitude, nous atterrissons à 1h30 devant un hôtel. Michel négocie au plus mal, on déballe toutes les affaires, et l'histoire tourne court parce que la taule ressemble beaucoup trop à une étable...
Recharger le Patrol, repartir, il fait froid, on va bivouaquer. Dur. La nuit, le froid, la déception, la fatigue, beaucoup de paramètres négatifs, le côté sombre de la vie d'aventuriers...
Nous trouvons finalement un coin potable, du moins à la lumière des phares, et montons les tentes en nous gelant.

Fin de l'épisode à trois heures du matin.
Onzième épisode.
On the road again.
A la lumière du jour, le bivouac s’avère superbe. Coup de chance, vu les conditions dans lesquelles on l’a choisi.

Autour de nous, rien, à perte de vue. Nous sommes pourtant réveillés par le passage d’un troupeau de chèvres et d’ânes. Ces immensités m’étonnent : la vie est partout mais invisible, et son apparition reste toujours une heureuse surprise.
L’endroit est agréable, la dernière journée fut rude, alors, sans concertation aucune, l’évidence semble l’imposer, chacun remet un peu d’ordre dans ses affaires, s’occupe de soi, comme si, sentant proche la fin du désert, on tentait de retarder un peu cette échéance.
Comme si nous avions besoin de faire le point pour aborder la suite.

L’appel de l’immensité me tenaille et, le groupe se semblant pas pressé de décoller, je m’offre une petite visite des environs avec la Dominator.
Ce gros mono fait poum poum poum et te propulse avec la même cadence, hop hop hop. Je ne suis pas parti depuis longtemps quand le gromono change de ton et de rythme : vouin ouin ouin puis groc groc groc : je suis doué pour les bruitages, non ?
Arrêt d’urgence et diagnostic rapide : chaîne sautée. Bien évidemment la trousse à outils à disparu, donc… marche à pied jusqu’au bivouac. Il paraît que le matin c’est excellent. On revient à deux dépanner l’engin, et en retendant la chaîne je me dis qu’il valait mieux qu’elle saute ici... qu’à 140 sur la route…
Ça s’appelle positiver.
Une fois partis, le plaisir vient, la route est bonne, les bécanes ronronnent, il fait beau, température idéale, paysage superbe.

Vers la mi-journée, bivouac et… pétage de plomb.
On fait, en principe, tourner les bécanes entre les pilotes, et certains ne joueraient pas le jeu. Prétexte, à mon avis, car Didier, par exemple, avait annoncé la couleur dès le départ.
Je pense que tout le monde reste frustré par notre « échec » de la veille, et que Michel, auteur de l’esclandre, est sous la pression de son frère, Dominique, venu lui, sans moto.
Manque de communication, fatigue, alors on culpabilise un peu et on se venge sur le voisin… humain quoi.
Bon, ça chauffe un peu, mais, au fil de la journée, on recale les esprits.
Route, route et encore route, avec arrêts explicatifs assez réguliers. Marrant :
Michel s’arrête, fait signe à Didier, qui stoppe ; nous on file pour pas polluer ; mais on mate un peu dans les rétros quand même…
Didier s’arrête, fait signe à Michel qui est avec moi dans le Patrol, ça discute, et je vais pudiquement faire pipi un peu plus loin…
On continue ainsi, jusqu’à ce que, finalement, Didier propose à Michel de le prendre comme passager. Proposition acceptée, embellie, je les regarde, l’œil humide, serrés l’un contre l’autre sur la monture d’acier, c’est beau l’amitié virile, s’ils font des petits j’en veux un…
Christian conduit le Patrol tandis que je fais la navigation au GPS, impeccable, jamais perdus, bien mieux qu’à l’aller. Une longue descente vers une immense plaine, la végétation revient, fin du désert. Snif.

Repas du soir, le dernier en Libye, dans un bar à putes : enfin, c’était devenu une légende…
Il fait nuit, départ pour la frontière, Laurent me passe l’Africa Twin. Surprise : il n’a pas de code - ben pour quoi faire ?- et crache deux fois cent watt vers les clients d’en face qui m’en mettent légitimement plein la poire durant tout le trajet.
Le passage de la frontière est humain, seule la douane tunisienne est assez inefficace, et je réussis à torpiller la plaque d’immatriculation libyenne en souvenir, bon moment… Elle fera très beau sur la couverture de mon album.

Ensuite la route est rectiligne, monotone, et sans grande possibilité de bivouac. Nous roulons donc jusqu’au premier chemin praticable et plantons les tentes à l’aveuglette.
Douzième épisode.
Bande de sodomites !

Après l’agitation de la veille, journée cool. L’objectif principal est de récupérer le jumeau Christian après ses vacances forcées en Tunisie. Nous partons donc pour Zarsis, où nous l’avions laissé. C’est notre lieu de rendez-vous.
Le retour à une forme de civilisation connue nous permet de se faire l’apéro –prolongé- dans un bistrot, à l’issue duquel nous rejoignons l’hôtel du rendez-vous : pas de Christian.
Les bécanes sont descendues de la remorque et nous partons pour l’île de Djerba. En tee-shirt, je me la joue touriste… et glacial. J’ai un peu imprudemment oublié que nous avons remonté un bon millier de kilomètres depuis le désert, distance Marseille/Lille environ, et que le climat ici n’est pas exactement le même…
6.4 kilomètres de digue relient l’île au continent : travail de romains. Joli coin, bien touristique, bourré d’hôtels bradés puisque nous sommes hors saison, et de blanchâtres en short ahanant sur des vélos de trente kilos.
Repas en terrasse quand même, les casques et les motos bien alignés, tel les bikers en Harley regardant briller les chromes en sirotant de la Bud.

Digestion sur le bord de mer, sous forme d’une grande partie de glissades sur le sol limoneux. Travers monstrueux facilement contrôlés, l’impression d’être des bons alors que c’est franchement très facile et jamais traître. Didier le maniaque se vautre à l’arrêt et va s’angoisser des heures en constatant que sa bécane n’a… rien…
Retour à Zarsis, dernière et infructueuse tentative pour joindre le jumeau.
Donc départ pour Médenine. Bonne route, essence libyenne et moulin en pleine forme, TW, poignée droite soudée à toc se prend des cent trente… en pleine colère et dans les descentes…
Après la Libye, la Tunisie ressemble à la Suisse : ici on ramasse les ordures, peint les bordures de trottoirs et installe une signalisation routière.
Le soir bivouac au bord d’une piste, et nous retrouvons finalement le Christian : par je ne sais plus quel invraisemblable imbroglio il téléphone du bled à côté et nous allons le récupérer.
Il a l’air assez abattu, sans doute parce qu’il a perdu toutes ses affaires !
Là non plus l’histoire n’est pas claire, il n’a même plus l’air de savoir s’il les a oubliées au départ, en route, ou dans le car à l’arrivée…
Toujours est-il qu’il est quasiment à poil, maussade, et de surcroit étranger au groupe puisque nous n’avons pas vécu les mêmes choses. Dur pour lui.
Chacun lui prête de quoi survivre, vêtement, gamelle, un bout de tente, mais il lui manque quand même le duvet, et ce ne sont pas les couvertures pourries qui trainent dans le Patrol qui vont lui tenir bien chaud cette nuit.
Un petit feu le soir, ambiance, et nous nous repassons le film de la journée, de cette Tunisie hors du temps, passage entre l’Europe et le Maghreb, dans laquelle modernisme et archaïsme se côtoient agréablement.
Laurent, Didier et Marc parlent bécanes avec tant de conviction qu’on se croirait au café du commerce… ou dans une cour de récréation…
Christian le pas jumeau, l’ineffable auteur du double salto inversé avec atterrissage la tête dans le sable n’a plus de voix, mouche, marche en travers comme une 404 libyenne, mais sourit, égal à lui-même : bon caractère le mec…
Christian le jumo se flagelle et refuse la place sous la tente protectrice.
Au matin, il aura tourné toute la nuit dans ses trois couvertures miteuses pour se retrouver gelé avec anorak et capuche, en boule, par terre, comme un chien… Je fais court mais on sent bien qu’il s’en veut tellement d’avoir foiré le coup du passeport et perdu ses affaires, qu’il a décidé de se punir : allonge-toi sur le divan, Sigmund, on va analyser !
Nous partons pour Matmata par la piste, sauf Marc-les-fines-coucougnettes qui passera lui par la route, donc par Gabès, l’aime pas la piste, on le savait, ça se confirme, et ça va se vérifier…
Les pistes de Tunisie sont magnifiques pour qui aime piloter : elles tournent, montent, descendent, serpentent, offrent toutes les possibilités pour s’amuser à rouler.
On se relait au volant du Patrol ou au guidon des bécanes, on prend de l’assurance, on se croit bon, on en devient joueurs, et lorsqu’on trouve un autre joueur, ben on s’amuse…
Aux commandes du Patrol et de sa fidèle remorque je reviens sur Laurent et son Africa Twin …qui augmente aussitôt l’allure. Le Patrol suit. Il remet un peu de charbon et monte encore d’un cran. Le Patrol suit mais la remorque commence à avoir du mal. C’est ensuite une douce escalade de la violence, il a décidé de me semer et moi de rester derrière : on a bien joué ! La remorque a moyennement apprécié, au point que lorsque nous nous sommes arrêtés, hilares, elle trainait derrière elle les trois pauvres couvertures, tel le Hun le cadavre de son ennemi…

Je récupère la TW, bien décidé à rouler cool, zen, profiter du soleil, la nature, les tizoizos, tout ça.
Pas vrai : en réalité j’attends Laurent, je le sais derrière.
Il se pointe effectivement dans mon rétro, accompagné de Didier qui évite la moindre pierre depuis qu’il a posé la bécane par terre sur la plage, craignant que le cadre qu’il imagine au moins fendu ne finissent de mourir là, entre ses jambes, crac et boum et c’est l’apocalypse du motard.
Bref, ils se trainent comme des larves.
Ce qu’a l’air de penser aussi le Laurent, qui largue son compagnon et revient sur moi. Qui accélère, mais juste ce qu’il faut pour rester devant, vicieux, un peu, j’avoue… Ensuite, le film, c’est le même : un peu plus, et encore un peu, et vas-y Marcel, mets du charbon et visse la poignée ! Bonne grosse bourre, il manie bien le bestiau mais reste quand même derrière ; les freinages hyper limite et les sorties de courbe en grande sucette me ramènent quelques années en arrière…
Nous fondons sur Michel et sa Dominator, qui pense que le nom de sa bécane ne l’autorise pas à se laisser dépasser : il refuse même catégoriquement, balaie la route, totalement à l’agonie, et nous oblige à emprunter le bac à sable pour le déposer, aaahhhrgg !
A Matmata, repas dans un froid glacial, et visite des habitations troglodytes, spécialités du coin, avec habitants à l’intérieur, assez gênant. Déjà que les cars de touristes faisaient un peu flou…
Nouveau départ, et nous convainquons Marc-les-etc de nous suivre, puisque même le patron du bistrot lui a affirmé que nous n’aurons que du bitume.
Lorsque commence la déviation dans le fech-fech, on sent bien qu’il aura des choses désagréables à nous dire… Nous l’attendons quand même ; il nous rejoint, longtemps, longtemps après : vision inoubliable du mec en perdition au milieu de la piste, nimbé de la poussière du fech, jambes écartés et phare allumé, arrivant trèèèèèès lentement vers nous, bouchonnant une bonne demi-douzaine de bagnoles furieuses qui cherchent à la doubler, en vain, par tous les moyens, légaux et moins…
Nos mines hilares nous vaudront un « enculés » bref et définitif…
Arrivée à Douz, marrante la borne Douz 12, et micmac d’hôtels qui se tirent la bourre pour attraper le client.

La moitié de la troupe se rue sous les douches de l’hôtel Saharien, tandis que les Jumeau’s Brothers, Christian le stoïque et moi allons nous finir dans le bac à sable pour touristes : on se prend pendant une heure pour Peterhansel sur des dunes d’au moins soixante centimètre de haut…
Repas au self, café au salon, bivouac sympa ! Nous ne savons pas ce que sera demain, mais la barrière du retour est désormais en vue.
La scission entre pistards et routiers est consommée, chacun sait maintenant quelle est sa préférence : Christian-Sigmund faisait plaisir à voir sur la TW, hilare et épanoui d’avoir survécu à trois kilomètres de sable mou !
Treizième épisode.
Nous avons fait la bourre
Déjeuner en vrais touristes à l’hôtel Saharien, puis départ vers l’Ouest.

Nous sommes le 22 avril et prendrons le bateau le 24, ce qui veut dire que nous devrons être à Tunis, six cents kilomètres, demain soir.
Route sympa et traversée du Chott el Jerid. Ce truc est une immense patinoire de saumure, trop tentant pour qui n’aime rien tant que piloter des bécanes dans des conditions hors normes… et tenter ce qu’on pourrait vulgairement appeler, des conneries…

Nous voici donc occupés à jouer sur l’immense manège. Au bord c’est relativement sec et nous devrions en rester là. Mais mais mais, dans ces cas là il y en a toujours un qui veut faire son malin.
Ben là, évidemment, c’est moi…
Il est vrai que plus c’est humide, plus ça glisse, que plus ça glisse plus c’est drôle, donc direction le plus drôle, là-bas.
Le détail qui tue c’est que plus c’est humide, plus ça gicle, et donc, après quelques minutes de pur bonheur quand même, je rejoins la route avec une bécane crépie de saumure.
Et la saumure, c’est corrosif. Très.

Mais ce détail ne me reviendra en mémoire que quelques heures plus tard, lorsque la pauvre TW commencera à perdre sa belle peinture par plaques ! Bouffée par le sel. Inutile de s’étendre sur l’humeur du gros naze de propriétaire, ni sur les noms exotiques qu’il utilise pour qualifier sa propre personne, le con.
Nous retrouvons ensuite une de ces routes-manèges que sait offrir la Tunisie.

Laurent, un peu fatigué, me confie son Africa Twin.

Jean François me regarde soudain d’un drôle d’air, il devrait pourtant me revenir en mémoire la conversation d’hier soir, dans laquelle Laurent et moi expliquions, bien sûr sans aucune vantardise ni exagération, les bourres qui nous avaient animé la journée.
Le Jean François se sent donc des velléités de challenger et, malheur, me provoque. Si si, ouvertement : il me double ! Si c’est pas de la provoc ça !
Après une grosse bourre dans ce décors en 3D, il finit par un splendide tout droit, freinage d’urgence sur les semelles fumantes, odeur de transpiration sous les bras et fond de caleçon pas très net…
Nous visitons les oasis de montagne : une nappe phréatique ressurgit régulièrement et chaque source induit une oasis au milieu du désert minéral.



Sensation très désagréable d’être assaillis par des nuées de gamins qui se bousculent pour un vieux tee-shirt ; ces lieux sont très touristiques…
Au Maroc les autorités ont strictement interdit, avec succès, cette sorte de mendicité ; la Tunisie, tourisme oblige, est victime de cette plaie. Bien sûr que nous sommes immensément plus riches que tous ces gens, mais ils ne mendient visiblement pas pour bouffer, mais pour attraper un petit bout de cette consommation qu’on a réussit à leur faire envier…
D’autant plus dommage que les rapports s’en trouvent modifiés : dans quel but celui-ci m’invite-t-il à boire le thé chez lui ? Si le gars le fait par pure tradition d’hospitalité, la méfiance gâche tout. Lamentable.
Nous bivouaquons à Midez, après une visite de l’ancien village berbère rincé en 1969. Le temps n’est pas avec nous, le repas est noyé sous l’orage. Dommage pour la viande grillée par un gamin sans âge qui baragouine autant de langues qu’il a vu de touristes.
Le feu, l’oasis, les tentes, les pâtes, le pain, le moral, tout est noyé, et le repas se termine entassés sous une tente berbère non étanche en contemplant mélancoliquement la pluie tomber devant les phares du Patrol…

Nous apprenons que nous sommes à trois kilomètres de la frontière algérienne et Marc en est aussi excité que s’il s’agissait de la planète Mars.
L’atmosphère se réchauffera d’un seul coup au milieu de la nuit : voitures qui stoppent brutalement, portières qui claquent, bruits de bottes ; certains se voient déjà la tête séparée du tronc. Incroyable comme de braves militaires venus veiller sur notre sécurité et notre sommeil peuvent être confondus avec des fanatiques du GIA…
Quatorzième épisode.
Floc floc.
Au matin tout est humide mais il fait beau.
Le feu, ranimé mais asthénique, nous permet de transformer le linge humide... en linge humide et fumé.
Pratique...
Après une rapide visite du canyon de Midez, nous décollons pour une longue étape, la dernière, Midez-Tunis, traversons des bleds pourris par les mines de phosphate, circulons sur ces routes de rêve qui montent descendent et tournent sans arrêt et finissons par rencontrer la pluie.
D'abord fine.
Bien à l’abri dans le Patrol, je propose à voix basse de remplacer un motard, sans écho heureusement…
Dès la fin du repas, les choses sont claires : ça va chier !!! De monstrueux nuages noirs se dirigent droit sur nous et s’épancheront gaillardement sur les régions que nous traverserons.
Le groupe s’éparpille sous la tempête, mais nous avons tous rendez-vous à l’hôtel de la Tour Blanche, à Tunis.
Michel, sur la TW et Christian sur le XT 350 ne lâchent pas Jean-François d’une semelle car il connaît le chemin et... c’est notre trésorier...
Peut être aussi, pour profiter du spectacle de l’homme qui se chope la turista pile le jour où la combine de pluie est obligatoire, ce qui donne lieu à de jolies improvisations avec arrêts en catastrophe sur le bas côté, évacuations précipitées vers le bois, bosquet, mur, ou brin d’herbe le plus proche, extractions urgentissimes, tous sphincters bloqués et respiration suspendue, de la combine, de la veste et de tout ce qui tient chaud et protège de l’eau…
Didier, Laurent et Dominique roulent de concert.
Dans le Patrol, Christian Lejumo et moi suivons Marc le roi du fech, et le voyons se dégrader lentement mais inexorablement, tantôt éponge, flotteur, ou même paratonnerre… Très très chaud ce dernier coup !
Jusqu’à ce qu’il me propose généreusement de me prêter sa bécane, sa vie quoi, ce qui doit être interprété chez lui comme un signe d’immense fatigue…
Il ne tiendra d'ailleurs pas très longtemps : dès que les trombes se calmeront un peu, il reprendra les commandes de l'engin.
Nous sommes à soixante bornes de Tunis, Didier et Laurent nous ont rejoint, mais la traversée de la banlieue et de la ville est un faramineux boxon, surtout lorsqu’on se retrouve, à la nuit tombante et sous la pluie, à contre-sens sur la bretelle d’autoroute et qu’il faut faire demi-tour avec Patrol et remorque : rock and roll…
Nous sommes finalement des bons puisque, malgré les conditions météo et l’éparpillement de la troupe, tout le monde est au rendez-vous : ni défaillance, ni casse, ce qui, vu l’état du matériel et des bonshommes, est un petit miracle…
Fait marquant de la journée : Dominique, en pleine colère sous la pluie, arrête le Patrol, fouille frénétiquement le bazar entassé derrière, déniche au hasard une combine de pluie, l’enfile rapido et repart pleins pots. Acte I.
Acte II, cinq minutes plus tard : Didier, en pleine colère sous la pluie, arrête le Patrol, fouille frénétiquement le bazar entassé derrière, à la recherche de sa combine…
Il y a de l’étripage dans l’air…
Dieu existe puisque le premier n’avait pas pris la combine du second !
Le soir, après le repas et, si si, le billard ; j’entends la mer et le vent déchainés et imagine déjà mon état lorsque je serai sur le bateau… Maman !!!
Quinzième, et dernier, épisode.
Vingt et un grammes...
Sitôt le déjeuner avalé, il faut commencer le chargement du Patrol.
Comme à l’aller, la TW perd sa fourche et se retrouve ainsi enfournée dans le Patrol, les deux XT rejoignent la remorque en compagnie de la fourche, calées par les malles et les jerricans, le tout fixé tant bien que mal avec les quelques sangles survivantes de l’aventure.
L’embarquement est à onze heures, mais personne ne semble inquiet. Certains, pas assez…
Départ en groupe, sauf pour Laurent, parti visiter les souks. Dernier plein dans une station où Jean-François, toujours joueur, conseille au laveur de pare-brises d’aller frotter celui de Marc : tête du Marc qui s’agite en tous sens en voyant déjà sont beau plastique tout rayé !
On a bien fait de rigoler, parce qu’après…
Les brothers profitent de l’arrêt pour aller faire quelques courses et nous les attendons patiemment. Evidemment ils ne reviennent pas… Finalement, vu les risques d’embouteillages encourus avec le Patrol, je décide de partir pour le port de La Goulette.
Aucun problème, mais le port est quand même assez excentré et nous arrivons ric rac.
Nous commençons les formalités, lorsque le Jean-François prend une jolie couleur d’endive et se sent quelques faiblesses dans les genoux : il a oublié son passeport à l’hôtel, le nain !
Le premier groupe est déjà passé, le second n’est pas encore là, ne reste de disponible que la moto de Didier. Si !
Qu’il est bien obligé de prêter à l’autre nain pour foncer récupérer son passeport…
- Tu fais attention hein ?
- T’inquiète, fait le JF les yeux injectés de sang, en attachant son casque.
- Tu tires pas dessus, hein ?
- Noooooonnnn ! fait le JF en écrasant le démarreur, la poignée droite déjà vissée à toc.
- Tu l’abimes pas, hein ? supplies le Didier.
Le dernier mot s’est perdu dans le claquement brutal de la première qui s’enclenchait et le hurlement des malheureux canassons de la bécanes… Voilà le JF parti pour le Grand Prix de Tunis…
Un grand silence suit son départ : Didier est muet d’horreur, nous restons seuls devant les guichets désertés, tout le monde se dirige vers le bateau.
Les cerbères nous ramènent à la dure réalité : ils veulent fermer les portes de l’aire d’embarquement !
Toujours pas de deuxième groupe en vue. On fait trainer, on glande, on amuse les gardiens, quand arrivent Laurent et le groupe numéro deux.
Premier miracle : ils réussissent à se faire ouvrir les guichets, fermés de puis cinq bonnes minutes.
On informe les autres de la nainerie, et tous le monde imagine alors le Jef soudant comme un cinglé et se plantant dans un camion. Avec la bécane de Didier. Dont il n’a bien sûr pas les papiers…
On est mal, on est mal !!
Fermeture des portes de l’aire d’embarquement, les types hurlent qu’ils vont laisser le Patrol dehors, Christian me fait de grands signes désespérés: il faut gagner du temps !
Marche arrière de débutant, remorque à droite, à gauche, avance, recule, recommence. Ça les amuse, ils se foutent bien de moi, je les adore.
Bon, à force, je suis quand même arrivé au portail, s’ils ferment c’est foutu pour Jef et Didier. Je le vois le Didier, au loin, et la fumée qui monte au dessus de son crâne en dit long sur ses envies de meurtre…
Gagner encore du temps… oui !!! La panne !
Pile planté sur le passage du portail, je manœuvre le coupe contact qui me sert d’antivol, un tout petit interrupteur caché sous le soufflet du levier de vitesse. Introuvable.
Paf, calé. Pas de chance hein les gars, juste là…
Les visages sous les casquettes plates deviennent très très rouges, ils s’approchent, je leur fait le grand jeu : rheu rheu rheu rheu … ben non, voyez, ça tourne mais ça démarre pas… Je fais encore le couillon deux bonnes minutes, tous les moyens sont bons…
Les types, excédés, veulent reculer le Patrol pour pouvoir fermer leur boutique, alors, la mort dans l’âme, je démarre, avance : fini pour les deux derniers : chaîne au portail et gros cadenas.
Christian, très fort, tente et obtient une ultime négociation : si Jef arrive dans les dix minutes, une petite porte au fond restera ouverte.
Compte à rebours silencieux en regardant les autres véhicules s’engouffrer dans le bateau…
Dix minutes plus tard, c’est cuit. Jean-François et Didier vont passer leur nuit de noce à Tunis : ce sera torride…
Soudain, bruit de bécane : entrée triomphale du couple maudit. Fin fin fin… Ils stoppent à côté de nous, sourires béats, soulagés.
On dirait que Didier n’entend pas le moteur de sa pauvre bécane, surmené, qui cliquette comme un fer rouge plongé dans l’eau glacée…
Un interrogatif haussement des yeux à l’adresse de JF confirme mon impression :
- T’in, j’y ai donné ! confirme-t-il à voix basse, avec ce célèbre sourire qui fait de lui un être à part, ce sourire en coin, celui qui remonte d’un seul côté, ce sourire les yeux baissés, celui du mec qui annonce à son meilleur pote qu’il va mourir parce qu’il n’est absolument pas question qu’il suce la plaie pour faire sortir le venin…
A peine le temps de se remettre que Michel est stoppé par un vigile : son billet ne comporte pas de moto !
On est mal on est mal !!!
On explique : déjà passés, voyage aller, même ticket, pas de problème, bla bla… mais c’est vrai que ce foutu billet est quand même marqué « pas de véhicule », et que le Michel tient absolument à ramener sa Dominator en France…
Comme personne n’avait remarqué la nuance à l’aller, chacun sort son billet pour le vérifier, et c’est finalement Jean-François, dont les neurones, sans doute stimulés par le baptême de l’air aller/retour jusqu’à l’hôtel, turbinent encore en zone rouge, qui trouve la solution : Christian, dont la bécane est sur la remorque, à un billet avec moto, c’est donc une simple inversion.
Mais le brave homme sous la grosse casquette qui comprime les méninges, n’a pas participé au Grand Prix, et il lui faut une bonne dizaine de minutes pour intégrer le raisonnement, au terme duquel nous pouvons enfin avancer jusqu’à la douane.
Tout va bien tout va bien.
Le Patrol est le dernier véhicule sur le quai. Routine, le douanier me demande d’ouvrir le coffre, visionne le monstrueux bordel et… flashe sur le gros pneu de la TW !
Was ? Moto planquée dans la Wagen ! Haben Sie Papiers ??? Auweiss ??
Comme les formalités d’entrée étaient un peu longues et compliquées pour mon petit cerveau, je n’avais pas demandé, ni donc obtenu, l’autorisation de circuler pour cette bécane... Et voilà qu’il me la demande…
On est mal on est mal !!
Je l’embrouille avec le passeport, c’est tamponné ici, ah tu vois ! on m’a dit, z ‘ont oublié, faut pas déconner… et… ça passe !
Vite, le dernier douanier, je vois qu’on largue les amarres, ça urge vraiment !
- Aloooors, les autorisations pour les deux motos derrières sur la remorque ?
Blanc, blanc blanc blanc…
- Aaaaaaahhhh ouiiiiiiiiii, bonne question… et bien… voyez-vous… c’est très simple, c’est les deux gars là bas qui… ah… on ne les voit plus ? Ils ont embarqué ? Si si, pas de bol, vraiment hein, disparus ces deux connards, purée les amarres, vont partir sans moi !
Bras à la portière, l’air très calme, zen, tout va bien, coooooool…
Il appelle le chef, deux jours avant le prochain bateau, qui l’engueule, qui baragouine très fort en me regardant méchamment, va partir le rafiot, qui me fait signe de passer, je le crois pas, vas y, soude…
Un dernier douanier, passeport ? Tout ce que tu veux mon gars, grouille.
Passez !
Je rentre à soixante-dix dans la soute ; ça sent vraiment la sueur. Aigre…

La traversée est un long cauchemar de vingt-six heures : deux crans de moins à la ceinture…
A Gênes, Débarquement laborieux, nous croisons ceux qui partent, je les envie… seulement un peu.
Nous nous séparons bizarrement : Laurent est invité à un mariage, il décolle tout de suite ; Marc n’augmentera pas sa moyenne et doit donc partir illico pour couvrir 400 kilomètres en moins de trois jours…
Nous prenons l’autoroute pour la France, ambiance fin de soirée petit matin vaseux.
J’ai la sensation que depuis que le retour est une réalité, les nerfs se sont relâchés, la mollesse nous envahit, la fatigue prend le dessus.
L’aventure est finie, la poussière retombe et le silence s’installe. Chacun pense à ces deux semaines intenses. Laurent est déjà dans la suite, d’autres parlent de la rentrée, lundi.
D’autres se taisent, comme moi.
J’ai la chance d’être au volant, j’écoute ; j’aime écouter, comme caché en pleine lumière.
Au milieu de banalités se cachent parfois des pépites…
Je me sens plus léger. Bon, c’est vrai que le voyage la tête dans le sac y est certainement pout quelque chose…
Mais je me sens le cœur léger.
L’âme pèse, parait-il, 21 grammes.
Ce doit être ça : un morceau de mon âme est resté là bas, dans les immenses dunes.
Dans ce désert où rien ne pousse, ce petit morceau d’âme va pourtant germer. Il donnera un bel arbre, qui s’appelle la nostalgie.
Dont je dégusterai les fruits huit ans plus tard…
Les fruits de la passion, quoi...

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